




Numéro 5 – Mars 2022 – Droit des contrats
Le J/DAA, votre revue étudiante en droit des affaires
Journal du DAA
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À retrouver dans votre numéro sur le Droit des contrats :
A la une en droit des affaires
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Le déséquilibre significatif : la nécessité de saisir les opportunités de négociation
Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 4, 26 Janvier 2022 – n° 20/04761
L’interview métier
La mission d’arbitre selon le Professeur NOURISSAT
Le contrat de parrainage
Nos articles
Les clauses d’indulgence, une aubaine pour le débiteur défaillant
Le mot du Pro
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Déséquilibre significatif : un droit commun réservé aux contrats (très) spéciaux ? Par le Professeur CHÉNEDÉ
A la Une en droit des affaires
Le déséquilibre significatif : la nécessité de saisir les opportunités de négociation
Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 4, 26 Janvier 2022 – n° 20/04761
Au sein des relations commerciales, un certain équilibre est assuré par l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce (anciennement article L.442-6, I, 2° dudit Code). Cet article interdit à toute personne exerçant des activités de production, distribution ou services « de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (l’ancienne version étant sensiblement la même). Partant, si les relations contractuelles sont libres et peuvent se nouer dans le cadre d’un rapport de force inévitable, ce dernier ne doit pas conduire une partie à imposer à son partenaire des conditions créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
La cour d’appel, faisant application de cet article (dans son ancienne version), a rappelé les éléments et conditions de son application, mettant l’accent sur l’aspect coopératif des négociations.
La présente affaire concernait deux sociétés en relation d’affaires, l’une fournissant les produits dont elle détenait la propriété industrielle à la seconde, laquelle était en charge de commercialiser ces produits sur le marché français. Cette relation, formalisée ensuite par un contrat de distribution, prévoyait une exclusivité au profit du distributeur sur le marché local français.
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En 2012, le fournisseur a mis fin au contrat de distribution liant les parties en respectant le préavis contractuel de 6 mois. Ce dernier indiquait toutefois son intention de conclure un nouveau contrat de distribution et, donc, de ne pas mettre fin à la relation d’affaires. Le projet de contrat a toutefois été jugé inacceptable par le distributeur, celui-ci reprochant à son partenaire de remettre en cause une relation d’affaire exclusive et de lui adresser un projet qui lui était défavorable. En revanche, le distributeur ne formulait aucune proposition autre que le maintien des conditions existantes. Le refus de ce dernier étant persistant, malgré les négociations, le fournisseur lui a alors annoncé que la relation commerciale serait poursuivie sur la base des bons de commandes transmis, sans qu’une relation de distribution ne perdure.
En raison d’une perte de clientèle, la société distributrice a assigné le fournisseur en justice en réparation du préjudice afférent sur le fondement, notamment, de la « soumission à des conditions contractuelles déséquilibrées »[1].
Le jugement de première instance ayant accueilli les demandes du distributeur concernant le déséquilibre significatif, l’appel formé par ce dernier ne portait pas sur ce point. Toutefois, le fournisseur demandait notamment à la cour d’appel de constater qu’il n’avait pas tenté de soumettre son cocontractant à un déséquilibre significatif dans ses droits et obligations.
La cour d’appel, par un rappel pédagogique, insiste sur les deux éléments constitutifs de l’interdiction de la soumission au déséquilibre significatif dans les relations contractuelles : la soumission ou tentative de soumission et l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif. Concernant la première de ces conditions, la soumission ne peut être caractérisée en présence d’une négociation effective des clauses litigieuses ou en l’absence de menaces ayant pour but d’imposer des conditions déséquilibrées.
Cette soumission est, en général, plus facilement démontrée lorsque la partie s’estimant lésée est dans une situation de dépendance à l’égard de son partenaire. Par exemple, le fait de réaliser la majeure partie de son chiffre d’affaires à travers cette relation d’affaires implique nécessairement qu’une condition déséquilibrée soit plus difficile à refuser pour le cocontractant en situation de faiblesse. Ainsi, la dépendance d’une partie à l’égard de l’autre implique que cette dernière peut plus aisément imposer des conditions déséquilibrées, par rapport aux cas dans lesquels le distributeur a plusieurs partenaires, plusieurs alternatives ou ne dépend pas économiquement de son cocontractant. En l’espèce, cette dépendance était caractérisée, puisque le distributeur réalisait 70% de son chiffre d’affaires avec le distributeur. Cela impliquait, selon la cour d’appel, que la négociation du contrat représentait un enjeu particulièrement important pour le distributeur. En effet, c’est lors des négociations que ce dernier aurait pu éviter de se voir imposer des clauses créant un déséquilibre et discuter des conditions contractuelles.
En l’espèce, plusieurs projets de contrats ont été transmis par le fournisseur au distributeur et plusieurs réunions ont eu lieu. De plus, le volume d’affaires et les relations commerciales n’ont pas changé pendant la période de négociations. Les relations commerciales se sont poursuivies. Cela laisse à penser que, malgré le fait que le projet de contrat prévoyait des conditions moins favorables pour le distributeur, celui-ci a eu l’occasion de les discuter, même s’il était en situation de dépendance économique. Aucune menace ne semble avoir été mise en place et le partenaire commercial a clairement montré, dans plusieurs échanges et lors de plusieurs réunions, son ouverture à la discussion. C’est au contraire le distributeur qui s’est montré fermé, refusant simplement le projet de contrat et ne formulant aucune contreproposition permettant de construire une nouvelle relation qui soit dans son intérêt et équilibrée.
C’est d’ailleurs dans ce sens que se prononce la cour d’appel, qui affirme que ni les conditions de la relation commerciale s’étant déroulée pendant les discussions, ni la teneur des échanges ne démontrent ni « une absence effective d'impossibilité de négociation » de la part de la société distributrice, ni de menace ou pression particulière de la part du fournisseur afin de forcer l’acceptation, par le distributeur de conditions manifestement déséquilibrées.
L’enseignement de cet arrêt est important. Même si peu en doutaient, il est clair que la négociation tient une place très importante dans les relations commerciales et plus particulièrement dans le cadre du mécanisme de prohibition de la soumission à un déséquilibre significatif. Le simple fait qu’un rapport de force existe en faveur de l’une des parties ne suffit pas à caractériser la soumission ou tentative de soumission. Si, malgré ce rapport de force, le partenaire en situation favorable laisse une place à la discussion, alors les négociations sont possibles et le fait de ne pas saisir cette opportunité implique d’accepter les conditions qui sont proposées. Ici, la cour d’appel fait toute la différence entre des conditions imposées et des conditions proposées.
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Dans le cas d’espèce, le rapport de force était largement favorable au fournisseur et le refus, par le distributeur, de conclure ce contrat menait à la rupture du contrat de distribution exclusive. Ces éléments auraient pu être jouer en faveur des prétentions du distributeur. Mais il ne faut pas systématiquement voir chaque partenaire en situation de force comme un acteur dominant écrasant les plus faibles. Parfois[2] le premier se laisse aller à davantage de bienveillance et laisse place à la discussion et la négociation.
Par conséquent, si le rapport de force est un frein aux négociations pour le partenaire en situation de dépendance, et s’il rend la discussion plus délicate pour celui-ci, il n’empêche pas toute négociation. Comme l’affirme N. MATHEY, « si le rapport de force entre les parties peut être peu favorable à la négociation, il ne suffit pas à établir la soumission »[3].
Toutefois, il est nécessaire de rester attentif aux fausses propositions. Le partenaire en situation de force est parfois tenté de faire croire à une possibilité de négociation des conditions contractuelles proposées. S’il s’agit d’une fausse possibilité et que ce dernier n’a pas l’intention de modifier ses conditions, alors celles-ci ne sont plus proposées, mais bien imposées. C’est tout l’intérêt de conditionner l’absence de soumission à l’existence d’une négociation effective, qui est un terme important en ce qu’il limite les dérives. Malgré tout, ce contrôle de l’effectivité de la négociation augmente considérablement la place et le pouvoir du juge, par son appréciation in concreto.
Le tribunal de commerce de Paris a d’ailleurs récemment condamné Google sur ce fondement dans un jugement du 28 mars dernier. L’entreprise soumettait ou tentait de soumettre les développeurs d’applications à un déséquilibre significatif dans des contrats relatifs à la plateforme d’applications mobiles. Plusieurs clauses étaient en cause, dont celles relatives au prix des applications, à la rémunération des développeurs et à la possibilité de modification unilatérale du contrat par Google. Dans ce jugement, le tribunal insiste également sur cette condition nécessaire d’absence de négociation effective, qui était en l’espèce caractérisée, parce qu’il s’agissait d’un contrat d’adhésion, que le développeur devait soit accepter dans toutes ses conditions, soit refuser sans négociation ni modification possible.
La condition de soumission ou tentative de soumission n’ayant pas été retenue, l’arrêt d’appel étudié ne se prononce pas sur celle du caractère significativement déséquilibré. Mais il est nécessaire d’avoir en tête le fait que dans le cas où le rapport de force est utilisé pour imposer des conditions, la démonstration ne s’arrête pas là. Encore faut-il démontrer ce déséquilibre, qui fait couler beaucoup d’encre.
Clara CAMPAGNE
[1] Fondement évoqué dans l’arrêt d’appel et renvoyant au déséquilibre significatif
[2] Même si cela se produit plus rarement.
[3] N. MATHEY, « preuve de la soumission », Contrats - Concurrence – Consommation, N° 3, LexisNexis, 2022
Le mot du Pro
Déséquilibre significatif : un droit commun réservé aux contrats (très) spéciaux ?
François CHÉNEDÉ
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Professeur de droit privé à l’Université Jean Moulin Lyon III
Co-directeur du Master Droit civil approfondi
(Lyon III)
On sait que l’ordonnance du 10 février 2016, portant réforme du droit français des contrats, a introduit dans le Code civil un nouveau mécanisme de lutte contre les clauses abusives, qui vient sanctionner, à la suite du droit de la consommation (C. cons., art. L. 212-1) et du droit de la concurrence (C. com., art. L. 442-1), le déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties (C. civ., art. 1171).
On sait aussi que l’une des principales questions suscitées par cette disposition fut celle de la délimitation de son champ d’application. En réalité, la question est double. D’une part, il s’agit déjà de délimiter les contours du « contrat d’adhésion », auquel le législateur a réservé l’application de l’article 1171, et dont la définition légale demeure susceptible de plusieurs interprétations. D’autre part, et in fine peut-être surtout, il convient de déterminer comment ce nouveau régime de droit commun doit s’articuler avec les deux mécanismes de droit spécial, et notamment avec celui mis en place par l’article L. 442-1 du code de commerce.
En 2016, le gouvernement pensait avoir réglé cette question par la simple adoption de l’article 1105, alinéa 3, du code civil, aux termes duquel « les règles générales s’appliquent sous réserve (des) règles particulières ». C’était négliger que l’adage « specialia generalibus derogant » ainsi codifié n’apportait pas de réponse évidente, notamment en raison de l’absence de contrariété entre les textes en concours.
Posée à nouveau en 2018, à l’occasion de la procédure de ratification de l’ordonnance, la question reçut une réponse solennelle et unanime de l’ensemble des acteurs de la discussion parlementaire, le gouvernement, les députés et les sénateurs ayant déclaré en cœur que le nouvel article 1171 du code civil n’avait vocation à s’appliquer que lorsque les articles L. 212-1 du code de la consommation et L. 442-1 du code de commerce ne seraient pas applicables.
Faute d’avoir été inscrite dans le marbre de la loi, cette volonté claire du législateur fut néanmoins balayée d’un revers de main par différents commentateurs, rappelant que les travaux préparatoires ne disposaient d’aucune force normative, et que les magistrats seraient libres de ne pas en tenir compte, en autorisant l’invocation de l’article 1171, alors même que le litige entrerait dans le champ d’application de l’un des deux textes spéciaux.
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Oui, les juges en avaient assurément la possibilité. Il reste qu’une question préalable méritait d’être posée : pourquoi le feraient-ils ? Pourquoi, face à une incertitude née de l’imprécision de la lettre de la loi, les magistrats ne s’en remettraient-ils pas aux travaux préparatoires qui en dévoilent sans aucune ambiguïté l’esprit ? Telle est la démarche, sans doute naturelle, que la chambre commerciale de la Cour de cassation vient d’adopter, en affirmant que l’article 1171 du code civil n’avait vocation à s’appliquer que lorsque l’article L. 442-1 du code de commerce n’était pas applicable (Com., 26 janv. 2022, n°20-16.782).
La question rebondit alors : quels sont les contrats soumis à l’article L. 442-1 du code de commerce (et donc à lui seul) ? On sait que le champ d’application de ce texte a été considérablement étendu ces dernières années. Le législateur de 2008 avait limité son empire aux « partenariats commerciaux », c’est-à-dire, selon la cour d’appel de Paris, aux conventions qui ne réalisaient pas une opération ponctuelle, mais organisaient une continuité d’affaires, en manifestant une « volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services » (v. not. CA Paris, 21 sept. 2016, RG no 14/06802»).
L’ordonnance du 24 avril 2019 a néanmoins brisé cette jurisprudence du fond, en expurgeant l’article L. 442-1 de toute référence au partenariat commercial, et en visant désormais, selon les termes du Rapport au Président de la République, l’ensemble des conventions conclues par un contractant « dans le cadre de son activité de distribution, de production ou de service ». L’année suivante, anticipant peut-être l’application à venir de l’ordonnance, la chambre commerciale a fait savoir à son tour qu’elle ne ferait pas sienne l’analyse restrictive adoptée par la cour d’appel de Paris, en reprochant à cette dernière d’avoir ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comportait pas (Com., 15 janv. 2020, n°18-10.512)
Le domaine de l’article L. 442-1 du code de commerce ainsi étendu, que reste-t-il pour l’article 1171 du Code civil ? Sans doute les contrats conclus par les professionnels libéraux, que les juges semblent encore vouloir exclure du champ d’application du droit des pratiques restrictives de concurrence. Pour le reste, on peut imaginer que tous les contrats conclus dans le cadre d’une activité professionnelle non libérale, de brève ou longue durée, avec ou sans relation de dépendance entre les contractants, seront désormais soumis à l’article L. 442-1 du code de commerce, et donc exclus du champ d’application de l’article 1171 du code civil.
Ce serait toutefois négliger que certains contrats échappent encore à l’empire de l’article L. 442-1. Dans son arrêt précité de 2020, la Chambre commerciale a ainsi jugé que les contrats de location financière, et, de manière plus générale, l’ensemble des opérations de banque et de crédits, étaient soumis au droit des pratiques anti-concurrentielles, mais pas au droit des pratiques restrictives de concurrence (Com., 15 janv. 2020, préc.). Dans sa décision précitée du 26 janvier dernier, les hauts magistrats en ont déduit que ces contrats, non soumis à l’article L. 442-1 du code de commerce, relevaient de l’article 1171 du code civil (Com., 26 janv. 2022, préc., reprochant en l’espèce aux juges du fond d’avoir retenu l’existence d’un déséquilibre significatif entre les parties).
Autrement dit, et pour conclure, si le spécial devrait bien échapper au droit commun, le très spécial pourrait en revanche profiter de son empire.
François CHÉNEDÉ
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L’interview métier
Cyril NOURISSAT
Agrégé des Facultés de droit
Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon III
Directeur du Centre de Recherches sur le Droit International Privé
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I - Présentation de l’intervenant – Pr. NOURISSAT
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Pourriez-vous présenter en quelques mots ?
Avez-vous un domaine d’intervention privilégié ? Et si oui lequel ?
Cyril NOURISSAT, Professeur agrégé des Facultés de droit.
J’ai fait une thèse en droit de l’Union européenne, j’ai ensuite passé le concours d’agrégation de droit privé et sciences criminelles et suis professeur agrégé depuis 2001.
A l’université, j’enseigne, j’écris dans 3 domaines : le droit international privé, particulièrement le droit international privé des affaires ; le droit de la concurrence interne et européen ; et puis le droit de l’arbitrage.
Parallèlement à mes activités universitaires j’ai une activité de consultant et d’arbitre, essentiellement en lien avec les domaines précités, c’est-à-dire droit économique, particulièrement le droit de la distribution, le droit de la concurrence interne et international et puis la stratégie contentieuse.
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Une personnalité vous a-t-elle marqué, inspiré ?
En tant qu’étudiant, en deuxième année j’ai suivi le cours de droit commercial du Professeur Jacques AZEMA. Et quand j’ai terminé ma deuxième année, je me suis dit « je veux être Jacques AZEMA », c’est-à-dire avoir cette activité académique d’enseignement, de recherche dans le domaine de la concurrence, plus généralement le droit des affaires, mais avec une dimension européenne et internationale.
Donc clairement mon parcours s’explique par la rencontre que j’ai eu avec ce professeur, qui d’ailleurs a ensuite dirigé ma thèse puis a été un collègue et surtout un ami.
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Comment vous êtes-vous formé à l'arbitrage ?
Qu’est-ce qui vous a amené à assumer des fonctions d’arbitre ?
En dehors du fait que j’avais lu le peu d’ouvrages qui existaient alors, je me suis formé à l’arbitrage sur le tas, par le fait que dès 2003 j’ai été proposé pour siéger dans un tribunal arbitral comme co-arbitre. J’ai accepté eu égard à la personnalité du président du tribunal arbitral, qui avait une très forte expérience. J’ai donc appris l’arbitrage par compagnonnage, c’est-à-dire en écoutant, en regardant les arbitres aguerris remplir leur mission. Et j’ai complété ça ensuite par de la lecture, de la discussion, l’appartenance à des centres d’arbitrage, à des associations d’arbitrage…
Quand j’ai commencé l’arbitrage cette matière n’était pas enseignée à la faculté. Désormais elle fait partie du cursus des juristes.
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Vous cumulez donc votre métier de Professeur et des missions d’arbitre. Est-ce contraignant, opportun, est-ce un avantage dans la réalisation de vos missions… ?
Ce n’est pas très contraignant, dans la mesure où ce qu’on accepte c’est une mission arbitrale, qui s’inscrit nécessairement dans un délai. Donc on n’est pas pris H24 par un arbitrage.
Simplement, c’est une question d’organisation de son agenda. J’essaie de bien articuler les besoins de l’un et les besoins de l’autre.
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Est-ce que l’un sert l’autre, nourrit l’autre ?
Oui.
De manière générale, je suis convaincu qu’on n’enseigne bien une matière que si on la pratique. En santé, on apprend la médecine au pied du malade et pour moi c’est la même chose en droit. Par exemple, je ne vois pas comment on peut enseigner le droit des contrats si on n’a jamais vu un contrat, si on n’a jamais compris et vécu l’élaboration, les choix, la rédaction du contrat… On risque sinon une vision très éthérée du contrat.
Un apprentissage purement livresque d’une discipline juridique me parait très dommageable, parce que c’est passer probablement à côté de la matière. Même constat en arbitrage, parce que la notion clé de l’arbitrage c’est la volonté des parties et on a besoin de se frotter aux parties, à leur volonté supposée ou avérée, pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de beaucoup de solutions en arbitrage. Les 2 sont intimement liées.
« Je ne sais pas si le droit est un art ou si le droit est une science, ce que je sais c’est que c’est une pratique ».
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Faites-vous partie d'un centre d'arbitrage ? Si oui lequel ? Et pourquoi ?
Oui. Je suis membre de l’Association française d’arbitrage (AFA) et j’ai participé au Centre interprofessionnel de médiation et d’arbitrage (CIMA), au CEPANI ou encore à un arbitrage ICC.
II - Métier de l’intervenant – La mission d’arbitre
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Arbitre n’est pas un métier, mais une mission. Cependant, de plus en plus de professionnels assument régulièrement des missions d’arbitre, au point d’en faire quasiment une activité exercée à titre habituel, une profession. Dès lors, la qualification de « métier d’arbitre » pourrait-elle être employée selon vous ?
Le mouvement de professionnalisation est indéniable et il est à mon avis largement dicté par le modèle anglo-saxon.
Je crois pouvoir dire qu’il y a des domaines assez précis de l’arbitrage, qui sont globalement des domaines de l’arbitrage international et en particulier l’arbitrage international d’investissement, où la professionnalisation est devenue une vraie réalité. Certains arbitres en font alors une activité clairement à temps plein, une véritable profession. C’est la création de fameuses boutiques d’arbitrage.
Il n’empêche que ce mouvement tend à apparaitre dans les autres formes d’arbitrages, comme par exemple l’arbitrage commercial interne classique.
Sauf que pour moi cela pose de vraies difficultés en termes d’indépendance, d’impartialité et surtout de disponibilité. Je ne suis pas certain que créer des boutiques d’arbitrage ne soit pas plus une source de problèmes que de solutions. C’est mon point de vue, je serai peut-être démenti dans les années à venir.
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Comment décririez-vous le rôle, la mission de l’arbitre en quelques mots ?
Trancher un litige. La mission de l’arbitre c’est trancher un litige, dire le droit : c’est la jurisdictio. Et c’est ça qui fondamentalement différencie l’arbitre du médiateur, du conciliateur, de l’expert… c’est qu’il tranche un litige.
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À quelle fréquence assumez-vous des missions arbitrales ?
C’est très variable. Je peux en avoir 2 ou 3 en même temps et puis pendant une période ne pas en avoir. Pour moi ça reste fondamentalement une mission, à titre personnel je n’en ai pas fait une profession. En 20 ans, j’ai dû faire 25 arbitrages, donc entre 1 et 2 par an, mais ça dépend des périodes. Par exemple, lorsque j’étais directeur d’Académie, je n’en ai pas fait parce que cela me semblait parfaitement incompatible avec mes fonctions.
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Selon vous, quels sont les meilleurs aspects de la mission d’arbitre ?
Il y a indéniablement une forme d’excitation intellectuelle. Il faut qualifier, discuter, débattre et cela parfois dans des domaines très innovants ou très complexes, dans un laps de temps imposé.
Il y a aussi cette dimension de prise de décision, trancher le litige. Et, je le reconnais bien volontiers, j’aime prendre des décisions.
Et puis le troisième élément c’est, je pense, le fait que l’arbitrage peut être un moyen de trouver une solution conforme aux intérêts des opérateurs et une solution qui soit comprise par les opérateurs. Ce que je veux dire par là c’est qu’en arbitrage les parties sont physiquement présentes, qu’il y a un véritable dialogue entre le tribunal arbitral et les parties et c’est, je crois, un moyen de faire prendre conscience de l’absurdité de certains litiges et d’amener ainsi les parties à se rapprocher, ce qui est souvent la meilleure solution sur un plan économique.
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Et a contrario quels sont les aspects qui vous déplaisent ?
Je ne suis pas un grand amateur des incidents de procédure. Je trouve que la culture de l’incident de procédure qui est parfois celle de certains conseils est une dérive contemporaine de trop d’arbitrages, ce qui a pour conséquence une importante perte de temps alors qu’il y a urgence à trancher le fond.
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Y a-t-il des formations adaptées pour remplir au mieux cette mission ?
Aujourd’hui je ne sais pas s’il y a de réelles formations pour devenir arbitre.
Il y a certains diplômes qui se sont développés (des masters, des diplômes universitaires) et qui sont un moyen de découvrir et d’apprendre le droit de l’arbitrage. Est-ce que pour autant c’est un moyen pour devenir arbitre ou être arbitre ? C’est plus compliqué.
Au-delà de cela, ce qui me parait extrêmement intéressant ce sont les concours d’arbitrage simulé, comme le concours du CIAM, le Moot court, le concours d’arbitrage de Sciences Po Paris. Je pense que c’est une bonne école de formation, de découverte. A nouveau, apprendre « sur le tas ».
Si quelqu’un veut vraiment découvrir l’arbitrage, une solution c’est de se faire employer comme secrétaire de tribunal arbitral, qui est une tâche éminemment administrative mais aussi un excellent moyen de découvrir et de comprendre ce qu’est l’instance arbitrale.
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Est-ce qu’il y a des prérequis nécessaires pour devenir arbitre ? Et si oui lesquels ?
D’après les textes applicables, il n’y a pas de prérequis, sauf si on considère que c’est un prérequis d’être une personne physique ayant la capacité juridique.
Après il y a un élément central : l’indépendance et l’impartialité par rapport aux parties, par rapport aux litigants, par rapport aux conseils.
Est-ce qu’il y a un prérequis en termes de compétence professionnelle ? La réponse est donc négative. On touche là cette réalité qui est qu’on peut être arbitre parce que juriste avec une compétence particulière dans un domaine juridique ou une compétence particulière en arbitrage. On peut aussi avoir une compétence professionnelle avérée, être le spécialiste d’une matière, d’un produit, d’un secteur économique… Et cette compétence est tout aussi décisive que celle du juriste aguerri !
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Quelles sont selon vous les qualités indispensables pour être un bon arbitre ?
Pour moi, il faut être à l’écoute et pragmatique.
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Est-ce que vous auriez des conseils pour des étudiants en droit s’intéressant à l’arbitrage et aspirant à exercer des fonctions arbitrales ?
Le premier conseil c’est de faire preuve de curiosité à l’égard de l’arbitrage et d’accepter l’idée qu’on a tout à apprendre en arbitrage. Ce n’est pas parce qu’on a suivi un cours de droit de l’arbitrage qu’on sait tout du droit de l’arbitrage.
Je constate qu’à chaque arbitrage j’apprends quelque chose de nouveau (une règle nouvelle, un comportement, un principe…).
J’appelle par ailleurs les étudiants à savoir douter. Ce qui n’est pas antinomique avec le fait de savoir décider !
III - Lien avec le thème du numéro - Le Droit des contrats
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Nous connaissons tous les difficultés du service public de la justice. Cela invite de plus en plus les parties à un litige à se tourner vers l’arbitrage, notamment pour des raisons de célérité. En ce sens, pensez-vous que l'arbitrage pourra un jour devenir la méthode de règlement des litiges la plus utilisée, tout du moins dans le monde des affaires internes ?
Je crois qu’il faut avoir conscience que l’arbitrage ne peut pas régler tous les litiges du monde des affaires : soit pour des raisons techniques, soit pour des raisons factuelles d’opportunité en tant que telles.
L’exemple de la raison technique c’est la procédure collective. Là le juge étatique est décisif.
En revanche, l’arbitrage se développe dans des hypothèses où il est peu fréquent aujourd’hui, mais avec une difficulté : qui est le coût inhérent à celui-ci. Est-ce que la résolution de cette difficulté passera par la création de centres d’arbitrage low cost ? Est-ce que cela passera par un travail de la part des rédacteurs de contrats sur les moyens de borner le coût des procédures dès la clause compromissoire ?
Pour moi, aujourd’hui le vrai sujet est moins entre l’articulation justice étatique / justice arbitrale que l’articulation entre l’arbitrage et les modes alternatifs de règlement des différends (MARD). En suivant les enseignements de l’arbitrage international, le fait que récemment les États parties de la CNUDCI aient décidé d’adopter la convention de Singapour sur les accords de médiation montre bien que l’on accompagne un essor de la médiation en matière internationale. Et je pense que c’est ça le vrai sujet : la concurrence entre les modes amiables et l’arbitrage (ce que n’est pas ce dernier, contrairement à ce qu’on lit trop souvent).
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Il semble qu’il y ait un mouvement jurisprudentiel récent de méfiance vis-à-vis des clauses compromissoires, se basant sur le droit de la consommation en matière de clauses abusives. En effet, l’arrêt PWC de 2020 a étendu la solution qui prévalait en arbitrage interne à l’arbitrage international, considérant que la clause compromissoire stipulée dans un contrat international de consommation est abusive et donc réputée non-écrite.
Ainsi, n’y a-t-il pas un risque que l’arbitrage, censé être un mode de règlement des litiges, ne soit détourné afin d’étouffer toute contestation et d’empêcher le litigant de faire valoir ses droits ?
Je pense que l’arrêt PWC, comme les arrêts Subway, contribuent à la place de l’arbitrage.
Dans les arrêts Subway on vient indirectement consacrer la pleine indépendance, la pleine autonomie de la clause compromissoire dans les contrats de distribution, en disant que ce n’est pas une manifestation du déséquilibre significatif de recourir à l’arbitrage, et au surplus en relevant que les conditions dans lesquelles l’arbitrage a été instauré ne sont pas de nature à affecter la situation d’un cocontractant en position de faiblesse. Le juge étatique vient donc soutenir l’arbitrage là où il a des raisons d’être.
En revanche, et c’est l’apport de l’arrêt PWC, le juge va restreindre la voie du recours à l’arbitrage là où il n’a effectivement peut-être pas grand-chose à y faire. Et c’est le cas à mon sens du droit de la consommation. Je crois que l’arbitrage reste une matière où l’équilibre (juridique, économique) entre les parties doit avoir un sens et si le législateur a considéré que la clause compromissoire était une clause abusive c’est qu’il y a de bonnes raisons de le considérer.
Mais, pour moi, ce dernier arrêt n’est pas du tout une atteinte à l’arbitrabilité. D’abord, l’arrêt PWC n’interdit pas d’arbitrer en droit de la consommation, il dit simplement que la clause compromissoire est abusive, ce n’est pas du tout la même chose.
Donc je ne sais pas si on peut dire qu’il y a un mouvement de réticence à l’égard de l’arbitrage. On a même plutôt tendance à vouloir voir de l’arbitrage partout (par exemple en droit patrimonial de la famille).
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Dans le même sens, pensez-vous qu’une clause compromissoire pourrait également être réputée non-écrite sur le fondement du droit commun de 1171 du Code civil ?
C’est la question à 1 million d’euros actuellement.
Pour moi il y a un obstacle potentiel : c’est le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage. N’oublions jamais que la jurisprudence dans un premier temps, le Code de procédure civile dans un second temps, ont consacré l’autonomie ou l’indépendance de la clause d’arbitrage par rapport au contrat principal. Or, le déséquilibre significatif ce n’est pas le déséquilibre significatif d’une clause, c’est le déséquilibre significatif du contrat. Et donc est-ce que le déséquilibre significatif d’un contrat ferait forcément tomber la clause compromissoire ? Je ne sais pas répondre à cette question aujourd’hui.
Et est-ce que la stipulation d’une clause compromissoire pourrait faire tomber le contrat pour déséquilibre significatif ? Je n’en sais rien non plus. Mais la cour d’appel de Paris semble dire que non !
Si on allait dans cette logique-là, c’est renverser toute la construction du droit de l’arbitrage depuis le début des années 60 et cette longue quête de l’indépendance et/ou de l’autonomie de la convention d’arbitrage par rapport au contrat principal. Je ne suis pas très convaincu (c’est un euphémisme) qu’il faille aller jusque-là ! Un autre argument, de pure opportunité, serait de dire qu’une telle solution donnerait nécessairement plus de travail au juge étatique qui, outre qu’il est déjà débordé, ne me paraît le mieux outillé - en France - en droit économique…
Interview par Thomas FRANCIA et Alex NICOLLET
Les clauses d’indulgence, une aubaine pour le débiteur
défaillant
Le manquement à une obligation contractuelle engage la responsabilité de son auteur. Cela peut notamment entrainer le versement de dommages-intérêts d’un montant dépendant du préjudice causé au cocontractant lésé. Toutefois, les parties peuvent prévoir de moduler contractuellement les conséquences d’un manquement à leurs engagements contractuels. Ce sont les clauses d’indulgence qui ont pour objet de minimiser les conséquences de l’inexécution pour le débiteur défaillant.
I – Les différentes clauses d’indulgence
Les clauses exonératoires de responsabilité permettent aux cocontractants de prévoir que la partie défaillante ne sera pas responsable en cas d’inexécution. Ainsi, son cocontractant ne peut pas engager sa responsabilité et n’obtient aucun dédommagement pour l’inexécution. Cette clause est favorable à la partie débitrice de l’obligation, mais ne se rencontre que pour les obligations les moins importantes.
Les clauses limitatives de responsabilité bornent l’indemnité due en cas d’inexécution contractuelle en mettant en place un plafond. L’avantage de cette clause pour le débiteur protégé est qu’il aura moins de mal à souscrire une assurance dans le cadre du contrat, parce que l’assureur pourra déterminer le risque qu’il garantit en prévoyant les indemnités éventuellement versées. Également, cette clause lui permet de prévoir les coûts de l’inexécution, ce qui n’est pas évident lorsqu’une telle clause n’est pas stipulée. En effet, dans ce cas, le contentieux est susceptible d’aller devant le juge, ce qui rend incertain le montant de l’indemnisation. Toutefois, l’interprétation de la clause reste possible en-deçà du plafond.
Les clauses d’indemnité forfaitaire permettent de déterminer contractuellement le préjudice indemnisable en cas d’inexécution. Là encore, la partie défaillante, comme son assureur peuvent chiffrer le risque d’inexécution et les discussions tendant à l’indemnisation sont évitées. Cette clause d’indulgence prévoit un montant d’indemnisation limité, contrairement à la clause pénale, qui, par sa nature punitive, détermine un montant élevé d’indemnités en cas de défaillance du cocontractant.
Ces clauses vont dans le sens d’une prévisibilité accrue des conséquences du contrat. Mais elles sont également très favorables au débiteur de l’obligation concernée. Tout d’abord, en cas d’inexécution, ce dernier sait d’avance ce qu’il risque. Mais également, et surtout, il supporte des risques limités par rapport à un contrat dans lequel aucune clause ne prévoit cette limite de responsabilité. La fonction de prévision du contrat en ressort grandie, l’avantage de cette clause résidant dans la prévisibilité des conséquences d’un comportement donné.
II – La clause limitative de responsabilité : validité et limites.
L’article 1231-3 du Code civil limite le montant des dommages et intérêts versés en cas d’inexécution à ceux « qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive ». Nous pouvons facilement déduire de cet article la validité des clauses limitant la réparation du préjudice au montant préalablement stipulé par les parties, puisqu’il en prévoit l’application. C’est ensuite l’article 1231-5 dudit Code qui évoque la situation dans laquelle les parties ont prévu que le manquement à une obligation entrainera le versement d’une certaine somme. Dans ce cas, « il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre ». Le juge est donc tenu de respecter et d’appliquer les clauses limitatives, sous réserve de pénalité excessive ou dérisoire.
Par conséquent, les clauses limitatives de responsabilité sont en principe valables. Toutefois, comme tout principe, cette validité connait des exceptions, qui permettent au juge de la modifier, voire de la remettre en cause.
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Parmi les limites à la validité de ces clauses, certaines matières ne peuvent pas faire l’objet d’une limitation concernant la réparation du préjudice.
En premier lieu, les dispositions concernant la responsabilité délictuelle[1] sont d’ordre public. La Cour de cassation a donc affirmé que ces dernières ne pouvaient être paralysées par convention[2]. Les clauses limitatives de responsabilité ne jouent donc pas dans ce cas. De même, le dommage corporel ne peut être soumis à cette clause, parce que celui-ci ne peut faire l’objet d’aucune convention.
Ensuite, le droit de la consommation interdit cette pratique dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs. En effet, l’article R.212-1, 6° du Code de la consommation dispose que les clauses ayant pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations » sont présumées abusives au sens de l’article L. 212-1 dudit Code. Cette présomption est irréfragable. Ces clauses sont donc interdites dans les contrats de consommation, sous peine d’être réputées non-écrites.
De plus, le droit de la concurrence peut également intervenir dans le cadre des abus de position dominante. Une entreprise en situation de position dominante (situation de pouvoir économique de nature à se soustraire aux conditions du marché) doit être attentive, car, du fait de sa responsabilité particulière, il est possible de lui reprocher d’insérer automatiquement, dans ses contrats avec les autres acteurs économiques, des clauses limitant sa responsabilité et de nature à dissuader ses cocontractants de toute action en responsabilité.
En outre, certaines conditions relèvent du comportement du débiteur des obligations contractuelles ou encore du contenu de la clause.
En toute logique, la clause ne peut permettre au débiteur de se soustraire à une obligation contractuelle par une faute intentionnelle (volonté de nuire à son cocontractant), lourde (négligence d’une extrême gravité) ou dolosive (refus d’honorer ses obligations contractuelles) de sa part[3].
Enfin, et c’est la condition qui occupera davantage nos développements, la partie protégée par une clause limitative de responsabilité ne doit pas se soustraire à une obligation essentielle. Partant, sans considération de la matière ou du contrat dans lequel elle s’insère, une telle clause se heurte à l’appréciation du juge, toujours souverain dans le cadre de son pouvoir.
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La Cour de cassation l’avait déjà affirmé à propos des clauses d’indulgence dans la célèbre affaire Chronopost[4]. Au présent cas d’espèce, la société Chronopost n’avait pas livré les plis de son créancier (la société Banchereau) le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi qu’elle s’y était engagée. La société créancière a donc assigné Chronopost en réparation des préjudices liés à ce manquement. Chronopost s’est alors prévalu d’une clause limitative de responsabilité présente dans le contrat qui liait les deux sociétés. Celle-ci limitait l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée. L’arrêt d’appel s’est penchée sur la condition précisée précédemment, selon laquelle la clause limitative de responsabilité ne peut être invoquée en cas de faute lourde. Sur ce fondement, elle a refusé de faire droit à la demande de la société Banchereau, estimant qu’aucune faute lourde n’avait été commise. Mais c’est sur une autre condition que la Cour de cassation s’est interrogée, ajoutant aux exceptions à la validité de principe d’une telle clause. Les juges du droit ont affirmé qu’une clause limitative de responsabilité ne doit pas contredire la portée de l’engagement pris. Cette exception ne s’intéresse pas au comportement du contractant ou à la nature du dommage, mais bien à la substance de la clause, qui ne peut exonérer le débiteur de son obligation essentielle. En l’espèce, Chronopost en ne livrant pas les plis dans les délais, alors même qu’elle est une société spécialiste du transport rapide, a violé son obligation, que la Cour de cassation considère comme essentielle. La clause est donc réputée non écrite, ce qui signifie que le juge ne peut pas l’appliquer, puisqu’elle est censée ne jamais avoir existé.
Attention, le simple fait que l’obligation essentielle n’ait pas été exécutée ne suffit pas à faire déclarer la clause non écrite. Il est nécessaire que cette dernière contredise la portée de ladite obligation. Tout repose sur la contradiction.
Cette subtilité a été mise en lumière dans l’affaire Faurecia[5], dans laquelle le débiteur avait manqué à son obligation essentielle, ce qui, de prime abord, aurait pu laisser penser que la clause limitative était inapplicable. Toutefois, ladite clause n’exonérait pas le débiteur de toute réparation en cas de manquement à cette obligation. Elle fixait bien un plafond d’indemnisation. Or, si celui-ci, négocié et accepté par le cocontractant, n’est pas dérisoire, la portée de l’obligation essentielle n’est pas contredite. La différence avec l’affaire Chronopost est que dans la première, le montant de l’indemnisation prévue était très bas, tandis que dans la seconde, si le débiteur paie moins, il paie tout de même un montant qui permet de réparer en partie le préjudice du créancier qui a accepté cette limitation.
Ces deux solutions jurisprudentielles ont été consacrées par le législateur, car l’article 1170 du code civil dispose désormais que « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».
Ainsi, il est nécessaire d’apprécier la validité de cette clause au regard de la répartition des risques entre les parties. Si, après avoir négocié et donc accepté la clause, le créancier supporte un risque plus élevé que le débiteur, c’est-à-dire si la clause prévoit que ce dernier indemnisera le créancier à un montant inférieur au préjudice réel, alors celle-ci est valable. En revanche, si la totalité ou la quasi-totalité des risques pèsent sur le créancier, alors cette répartition ne peut être valable et la clause limitative prévoyant une indemnisation dérisoire en cas de manquement à l’obligation essentielle est réputée non écrite.
Cette décision est largement défavorable au créancier. Non seulement l’appréciation du caractère dérisoire du montant fixé, ainsi que la qualification de l’obligation essentielle rendent l’application de la clause moins prévisible, alors même que ce type de clause devrait ajouter à la prévisibilité des conséquences du contrat. Mais surtout, elle est largement favorable au débiteur, qui, par la simple rédaction d’une clause prévoyant un montant fixe qui soit à peu près acceptable, peut échapper très facilement à son obligation essentielle.
Les juges brisent petit à petit les barrières à la validité de cette clause, notamment en ce qui concerne le manquement à l’obligation essentielle, faisant de cette dernière un risque ou une opportunité pour l’une ou l’autre des parties. Il est donc désormais essentiel d’avoir en tête le régime et les risques de cette clause, afin d’envisager au mieux sa rédaction. Notamment, il est conseillé aux parties d’essentialiser, dans le contrat, les obligations qu’elles estiment les plus importantes, mais également de connaitre le montant qu'elles pourraient recevoir en cas d'inexécution (donc leur préjudice) pour savoir si elles en acceptent ou non la limitation.
Clara CAMPAGNE
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[1] Articles 1240 et 1241 du Code civil, anciens articles 1382 et 1383 du Code civil.
[2] Civ. 2ème, 17 février 1955, D. 1956. 17, note Esmein ; Civ. 28 nov. 1962, RTD civ. 1963. 756, obs. Rodière ; Civ. 1ère, 5 juill. 2017, n°16-13407
[3] C. Civ., art. 1231-3.
[4] Com. 22 oct 1996, n°93-18.632. Le législateur a ensuite entériné cette jurisprudence à travers l’article 1170 du Code civil, issu de la réforme de 2016.
[5] Com., 29 juin 2010, n°09-11.841
Le contrat de parrainage
Les sportifs, à travers l’image et les valeurs qu’ils véhiculent, représentent pour les entreprises un vecteur important de développement économique. Ainsi ces dernières n’hésitent pas à investir de plus en plus dans le sport sous forme de parrainages et autres contrats publicitaires.
Le contrat de parrainage, aussi appelé contrat de sponsoring, constitue l’une des principales sources de financement du sport amateur et surtout professionnel. Le terme « parrainage publicitaire » a d’ailleurs été préféré dans un arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique. Ainsi, le terme parrainage s’entend comme « un soutien matériel apporté à une manifestation, à toute personne, à un produit ou à une organisation en vue d’en tirer un bénéfice direct ». Cependant, les auteurs déconseillent d’utiliser le terme, jugé trop vague, de « contrat de partenariat » qui pourrait porter confusion en rappelant le secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne[1]. Le parrainage désigne donc une convention par laquelle une entreprise, appelée le parrain, apporte son concours financier, matériel, ou humain à une personne physique ou morale, appelée le parrainé. Celui-ci autorise le parrain à utiliser son image, son nom et ses performances pour la promotion de sa marque ou ses produits.
Dans le cadre des contrats de parrainage, les sommes versées aux sportifs ne constituent pas la rémunération d’une activité sportive ni la contrepartie de l’exécution d’un travail particulier. Le sportif ne fournit aucune prestation directe, définie et continue pour le sponsor. De facto, le rapport entre les parties ne relève pas d’un lien de subordination mais s’analyse comme une relation purement commerciale. Dans un arrêt du 16 janvier 1997, la jurisprudence a pu considérer qu’une astreinte publicitaire est, à elle seule, insuffisante pour caractériser un lien de subordination entre le sponsor et l’athlète parrainé[2]. Le parrainage est donc présenté généralement comme une opération publicitaire alternative.
Il est important également de distinguer le parrainage du mécénat. Le mécénat est un don, qui prend la forme d’un soutien matériel apporté « sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire »[3]. Celui-ci peut toutefois valoriser le soutien de son mécène par les canaux de communication, mais cette valorisation doit demeurer une contrepartie « très inférieure au montant du versement accordé »[4]. Au niveau fiscal, les dépenses de mécénat ouvrent droit à une réduction d’impôt égale à 60% du montant des sommes versées par l’entreprise mécène. Cette réduction n’est possible que si le soutien est apporté à un organisme d’intérêt général (Fondation reconnue d’utilité publique, associations loi 1901,…). Le parrainage est, quant à lui, assimilé à des dépenses de publicité, qui sont, à ce titre, déductibles du résultat imposable du parrain[5]. Enfin, le parrainage doit se distinguer de la publicité de marque en tant que telle, même si le droit fiscal assimile les deux notions. En effet, le parrainage tend à valoriser l’image de marque, les valeurs du parrain. Il ne cherche pas à vendre un produit ou service par un argumentaire promotionnel et commercial de la marque.
Par son aspect protéiforme, le contrat de parrainage pose quelques questions de qualification.
En effet, il peut être qualifié dans un premier temps de « contrat d’achat d’espace publicitaire » s’il s’agit de l’affichage de la marque du sponsor sur un support. Ensuite, il peut être qualifié de « contrat d’entreprise » lorsque le parrainé s’engage à promouvoir l’image du sponsor par diverses actions promotionnelles. Dans tous les cas il s’agira d’un contrat synallagmatique[6].
L’organisation des relations entre le sportif et le parrain s’inscrit dans un régime de liberté contractuelle. Les règles communes de formation et d’extinction du droit commun des contrats s’appliquent. Les contrats doivent répondre des conditions générales de validité prévues par l’article 1128 du Code civil ainsi que celles édictées par la Loi Évin du 10 janvier 1991 relative à l’industrie des tabacs et alcools. Cette dernière interdit toute opération de parrainage qui a pour effet ou objet la propagande ou la publicité en faveur du tabac. Le parrainage ne sera ainsi conclu qu’après accord portant sur ses éléments essentiels[7] sans qu’il n’y ait défaillance d’une condition à laquelle son existence aurait été conditionnée[8]. La jurisprudence précise également que la méconnaissance par les parties d’une réglementation sportive n’est pas, en elle-même, susceptible d’entrainer l’annulation du contrat. La validité d’un contrat publicitaire conclu par un athlète, au mépris d’une interdiction érigée par la fédération sportive, ne peut être menacée[9].
Le contrat de parrainage est conclu pour une durée déterminée. Il ne cesse en principe qu’à l’arrivée du terme, sauf clause contraire ou en cas d’inexécution suffisamment grave. Il sera généralement mentionnée une clause de résiliation prenant effet si le sportif adopte un comportement contraire aux usages loyaux de la pratique tels que le dopage, l’absence aux compétitions, la violence ou la violation des règles éthiques. Il en est de même lorsque le sportif émet des déclarations de nature à nuire à l’image de la marque et aux intérêts du parrain tels que le dénigrement de la marque ou la promotion d’un concurrent. Il peut être valablement prévu qu’en fin de contrat, l’athlète restituera le matériel qui lui a été confié, car la règle de l’irrévocabilité des donations n’est pas applicable[10]. Les parties pourront bien sûr prolonger le contrat à son échéance si elles le souhaitent, en décidant de sa prorogation ou reconduction. Les clauses de reconduction automatique sont, par ailleurs, tout à fait valables. C’est également le cas pour les clauses de préférence qui sont généralement stipulées au bénéfice de l’actuel sponsor.
Comme dans tout contrat, les parties sont liées par des obligations respectives. Le sponsor est pour l’essentiel tenu à l’obligation de paiement du parrainé. Cette rémunération peut prendre des formes diverses, en nature ou en numéraire. La rémunération pourra être choisi d’un commun accord, sur la base d’un montant forfaitaire, ou dépendre d’un barème selon les performances réalisées par le sportif. Le sponsor pourra également être tenu à d’autres obligations selon l’objet du contrat tel que le financement d’une manifestation s’il s’agit d’un contrat de parrainage évènementiel. Quant au parrainé, une grande attention doit être apportée à la rédaction des clauses visant la définition des prestations du sportif. Il s’agira particulièrement de celles concernant les modalités et l’étendue de l’exploitation de son image. En effet, l’utilisation du nom et de l’image du sportif constitue la cause principale du contrat. Ce dernier va céder au parrain le droit d’utiliser à des fins publicitaires ou commerciales son nom, prénom, image, renommée, ses performances ainsi que les films et photographies réalisés lors de manifestations officielles, compétitions, entrainements,… Ainsi, le parrainé peut être obligé d’apposer le logo du sponsor sur des supports contractuellement déterminés. Il s’agira d’une obligation de résultat[11]. La question de conflits de sponsors peut alors se poser si l’athlète appartient à un club ou participe à une compétition qui est-elle même, soutenue par un sponsor exclusif, sachant que les organisateurs sont tenus de respecter le droit de la concurrence. De ce fait, l’exploitation de l’image peut être limitée à une étendue territoriale, une durée ou par la nature des supports de communication utilisés. Les clauses d’exclusivité sont donc très fréquentes et peuvent engager la responsabilité du sportif si ce dernier y déroge.
Enfin, ces contrats sont encadrés par certaines règles spéciales.
D’abord, le droit de la publicité s’applique aux opérations de parrainage. Celui-ci interdit la publicité sur les produits dangereux ou pour des services d’investissement sur des titres financiers[12]. Il impose également le respect des droits des tiers notamment vis-à-vis de leurs droits de propriété intellectuelle[13]. De plus, le sponsoring, en tant qu’affichage extérieur, doit obéir aux prescriptions du Code de l’environnement[14] lorsqu’il s’agit d’une publicité visible d’une voie ouverte à la circulation publique.
Ensuite, le droit de la concurrence borde la pratique contractuelle car il est très fréquent de trouver dans les accords de parrainage des clauses de non-concurrence ou d’exclusivité. Le Conseil de la concurrence avait précisé en 1997, que le fait de conclure un accord de fourniture exclusive d’équipement sportif n’était pas en soi illicite, mais que cela pouvait être le cas si les modalités de sa négociation ou ses stipulations avaient pour objet ou effet de restreindre la concurrence sur le marché en cause[15].
Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence vérifie également que les clauses d’exclusivité n’instaurent pas « une barrière artificielle à l’entrée sur le marché en appréciant l’ensemble de leurs éléments constitutifs »[16]. L’Autorité sera attentive, notamment à la durée de l’accord, son champ d’application, les conditions de sortie ou encore les justifications économiques. Les dispositions des règlements fédéraux, visant à assurer la mise en œuvre des contrats de parrainage conclus par les fédérations, sont elles-mêmes soumise au droit des pratiques anticoncurrentielles[17].
Pour finir, les sponsors peuvent également bénéficier de la protection du droit de la concurrence notamment sur le fondement de la concurrence déloyale ou du parasitisme. Par exemple, le « partenaire officiel » d’un club peut reprocher à un tiers de s’être prévalu de cette qualité, créant ainsi une confusion dans l’esprit du public[18].
Il est ainsi important pour les sportifs de se faire accompagner par un professionnel du droit dans la conclusion de leur contrat de parrainage.
Mathilde SÉNÉCHAL
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[1] Art. 32 Loi n°2010-476 du 12 mai 2010
[2] Cass. Soc., 16 janv. 1997, n° 95-12994, RJS 3/97, n° 326, joueur de tennis.
[3] Arr. 6 janv. 1989, préc
[4] CE, 20 mars, n° 423664, M21 Fayard
[5] Art. 39, 1,7° CGI
[6] CA Versailles, 11 oct. 2007, Comm. com. Electr. 07/491
[7] Cass. 1re civ., 24 Nov. 1998, n° 95-21074
[8] CA Paris, 18 oct. 1991, RJDA 1992, n°8 sponsoring conclu sous la condition suspensive de son agrément par l’organe sociétaire du sponsor
[9] CA Paris, 28 févr. 1980, D.1982, somm. P. 92, obs. F. ALAPHILIPPE et J.-P. KARAQUILLO
[10] CA Versailles, 11 oct 2007, Comm. Com. Électr. 2008, chron. 10, n°11, obc. F. BUY
[11] CA Paris, 24 janv. 1991, Contrats, conc., consom., 1991, n°77, note L.LEVENEUR
[12] Art. L. 222-16-1 et L. 222-16-2, C. Consom.
[13] CA Paris, 19 juin 2015, RG n° 14/13108, Comm. com. électr. 2017, chron. 10, n°10.
[14] Art L. 581-1 et s., C. envir
[15] Cons. conc., 7 déc. 1997, Rec. Lamy 1998, n° 743, note F. BERTHAULT
[16] Aut. conc., 30 sept. 2009, déc. n° 09-D-31, Lettre Lamy Droit du sport, n° 70, 2009, p. 1, note K. BIANCONE et D. FERRE ; RLC janv.-mars 2010, n° 1522, obs. R.BOUNIOL
[17] Cass. Com., 2 déc. 1997, 95-19.753, 95-19.814, 95-19.820
[18] CA Lyon, 18 oct. 2012, Comm. com. électr. 2013, chron. 10, n° 11, obs. C.-A. MAETZ