




Numéro 2 – Novembre 2021 – Droit des entreprises en difficulté
Le J/DAA, votre revue étudiante en droit des affaires
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A retrouver dans votre numéro sur le droit des entreprises en difficultés :
A la une en droit des affaires
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La réforme du Droit des entreprises en difficulté, des évolutions notables influencées par le Droit de l’Union Européenne.
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Nos articles
L’objectif du Droit des entreprises en difficulté
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La mise en place d’un rang privilégié pour les créanciers finançant la période d’observation – Apport de la réforme et égalité des créanciers
L’interview métier
Le métier de mandataire judiciaire, selon Me DUBOIS
Le mot du Pro
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Les mots du Professeur BORGA – Le droit français des entreprises en difficulté va-t-il faire sa mue ?
A la une en droit des affaires
La réforme du Droit des entreprises en difficultés, des évolutions notables influencées par le droit de l’Union Européenne.
[1] Art. L.611-2 C. Com.
[2] Art. L.611-7 C. Com.
[3] La remise en cause des suretés obtenues dans le cadre de l’accord de conciliation résultait d’un arrêt Com. 25 sept. 2019, n°18-15.655.
[4] Art. L.611-10-2 C. Com.
[5] L. BALLEIDIER, « Les objectifs du Droit des entreprises en difficulté », paru dans ce numéro
[6] Art. L.626-18 C. Com.
[7] Art. L.626-5 C. Com.
[8] Au sujet de l’introduction des classes de créancier dans le droit français, voir l’article de N. BORGA, paru dans ce numéro.
[9] Art. L.631-19, II, al. 2, C. Com.
[10] N. BORGA, « Le droit français des entreprises en difficulté va-t-il faire sa mue ? », paru dans ce numéro.
[11] E. ALKAN, « La mise en place d’un rang privilégié pour les créanciers finançant la période d’observation – Apport de la réforme et égalité des créanciers », paru dans ce numéro.
[12] Art. L.622-34 C. Com
[13] L. BALLEIDIER, « Les objectifs du Droit des entreprises en difficulté », paru dans ce numéro.
[14] E. ALKAN, « La mise en place d’un rang privilégié pour les créanciers finançant la période d’observation – Apport de la réforme et égalité des créanciers », paru dans ce numéro.
Le mot du pro
Le droit français des entreprises en difficulté va-t-il faire sa mue ?
Nicolas BORGA
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Professeur des Universités, Université Jean Moulin Lyon 3
Directeur de l’IDEA
Directeur du Master Restructuration et traitement des entreprises en difficulté
Depuis 1985, le droit français des entreprises en difficulté a la réputation de largement sacrifier les droits des créanciers au profit de la sauvegarde de l’entreprise et des emplois qui y sont attachés. Il est vrai que la loi « Badinter » du 25 janvier 1985 a profondément déplacé le centre de gravité d’une matière originellement conçue comme destinée à sanctionner les commerçants défaillants et à désintéresser les créanciers. Cette évolution, qui correspondait au climat politique d’une époque, n’avait toutefois pas conduit à une amélioration des statistiques en matière de défaillances. Au contraire, oublieux de ce que les créanciers de l’entreprise peuvent se retrouver extrêmement fragilisés par un défaut de paiement, le législateur de l’époque a pris le risque d’alimenter un risque de faillites en cascade.
Depuis, l’histoire du droit des entreprises en difficulté est celle d’un rééquilibrage des intérêts en présence. En 1994 puis en 2005, pour ne citer que les principales réformes, le législateur s’est efforcé de se montrer de plus en plus pragmatique. Le redressement n’a de sens qu’à l’égard d’entreprises économiquement viables et les intérêts de créanciers ne doivent pas être sacrifiés à tout prix. Malgré cela, le droit français des entreprises en difficulté est resté résolument tourné vers la sauvegarde de l’entreprise, le poids des créanciers demeurant assez faible, du moins s’agissant de la décision à adopter quant au sort de l’entreprise.
L’harmonisation juridique à l’œuvre au sein de l’Union Européenne pourrait toutefois conduire le droit français à un changement de paradigme profond. Beaucoup de pays voisins tendent en effet à considérer que les créanciers ne sauraient être tenus à l’écart de la solution à adopter face à la défaillance de l’entreprise. Le droit français est donc appelé à évoluer sous l’effet de la directive européenne « restructuration et insolvabilité » 2019/1023 du 20 juin 2019, transposée en droit français par l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du Livre VI du Code de commerce.
La mise en conformité du droit français à la directive du 20 juin 2019 résulte essentiellement d’une nouvelle procédure dire de « sauvegarde accélérée » (art. L. 628-1 et s. du Code de commerce), dont les linéaments étaient d’ores et déjà présents dans les procédures de sauvegarde financière accélérée et de sauvegarde accélérée, qui disparaissent au profit de ce nouvel instrument de restructuration.
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Mais, de manière plus générale, l’ordonnance substitue les classes de créanciers aux comités de créanciers. Ces classes de créanciers, constituées à partir d’une « communauté d’intérêt économique suffisante » (art. L. 626-30, III, C. com.), seront obligatoirement présentes dans la nouvelle procédure de sauvegarde accélérée, et elles le seront également dans les procédures ordinaires de sauvegarde et de redressement judiciaire dès que certains seuils seront atteints. Ces seuils sont élevés puisque ce sont les mêmes que ceux déterminant la compétence des tribunaux de commerce spécialisés (soit 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires net ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net, art. R. 626-52 C. com.).
Déjà, certains ne manquent pas de souligner que l’influence de la directive européenne pourrait être discrète compte tenu des seuils particulièrement élevés qui ont été retenus. Cela rassurera certains praticiens peu désireux d’être confrontés de façon brutale à des solutions radicalement différentes de celles jusqu’ici connues.
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Mais plus qu’un épiphénomène, il nous semble que l’ordonnance du 15 septembre 2021 est en réalité la tête de pont d’une évolution inéluctable et profonde, en faveur de laquelle plaideront les créanciers les plus puissants tant ce système leur offre un rôle éminemment important.
Dans l’esprit de la directive, si le redressement de l’entreprise doit être privilégié, c’est uniquement lorsque cela est de nature à maximiser la valeur de l’entreprise. Lorsque la valeur de l’entreprise en activité (on going concern value) est supérieure à la valeur liquidative (liquidative value) alors la poursuite d’activité est préférable. Mais les créanciers jouent un rôle central dans la prise de décision. Et si certains créanciers peuvent se voir imposer la solution, il leur est offert une garantie appréciable : celle de ne jamais recevoir moins dans le cadre de la procédure de restructuration que ce qu’ils étaient en droit d’attendre de la liquidation ou d’un plan de cession (best interest test).
L’adoption du plan par les classes de créanciers offre des perspectives qui étaient inatteignables avec les comités de créanciers. Alors que le plan devait être validé dans les mêmes termes par les comités de créanciers et l’éventuelle assemblée unique des obligataires, il est désormais possible de faire adopter un plan qui ne recueillerait l’assentiment que d’une majorité simple des classes de créanciers et même - dans certains cas – d’une minorité d’entre elles (art. L. 626-32 C. com.). Dans une telle situation, le plan ne pourra en principe prévoir le désintéressement d’une classe de créanciers tant que les créanciers d’une classe disposant de garanties plus efficaces n’auront pas été intégralement désintéressés (règle de dite de la priorité absolue, art. L. 626-32, I, 3°, C. com.).
Au-delà de l’adoption du plan, c’est son contenu même qui va évoluer profondément. Le plan adopté par les classes de créanciers doit refléter la valeur des créances et des garanties détenues. Il n’est donc plus question de traiter tous les créanciers de façon égalitaire en leur proposant simplement un choix entre une option courte et une option longue de paiement. L’application du best interest test ou de la règle de la priorité absolue oblige à concevoir des plans de restructuration reflétant les différences de situations entre créanciers, ce qui signifie concrètement que ceux n’ayant pas vocation à percevoir un paiement en liquidation judiciaire ou dans le cadre d’un plan de cession peuvent se voir imposer un plan écartant tout paiement à leur profit …
On ne pariera donc pas sur le faible succès de ces nouveaux outils compte tenu des potentialités qu’ils renferment. Nul doute que des praticiens férus de stratégie sauront en exploiter toutes les ressources, au profit du débiteur … ou des créanciers les plus puissants.
Nicolas BORGA
Le 15 septembre 2021, l’ordonnance n°2021-1193, dite « restructuration et insolvabilité » a été publiée. Elle réforme le livre VI du code de commerce consacré au droit des entreprises en difficulté dans le cadre de la transposition de la directive européenne n°2019/1023, dite directive « restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019. Cette dernière a pour objectif « de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et de lever les obstacles à l'exercice des libertés fondamentales, comme la libre circulation des capitaux et la liberté d'établissement, qui sont dus aux différences entre les législations et procédures nationales en matière de restructuration préventive, d'insolvabilité, de remise de dettes et de déchéances » (considérant 1).
Les dispositions issues de cette réforme sont applicables aux procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021. Il est donc impératif de la comprendre dès à présent afin de se familiariser avec les nouvelles procédures.
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I – La prévention des difficultés par la procédure de conciliation
Les pouvoirs de renseignement du Président du tribunal. En premier lieu, le Président du tribunal saisi d’une demande de conciliation voit ses pouvoirs renforcés, parce qu’il peut, dès la convocation du dirigeant, déclencher une procédure de communication des renseignements lui permettant d’être informé sur la situation économique ou financière du débiteur[1]. Avant la réforme, ces informations ne pouvaient être transmises qu’une fois l’entretien avec les dirigeants passé ou, si les dirigeants ne s’y étaient pas rendus, après la date prévue pour l’entretien.
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Les délais de paiement. Également, la possibilité, introduite par l’ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020, de demander au juge d’accorder des délais de paiement dans le but de protéger le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier, a été reprise par la réforme, qui opère toutefois quelques modifications favorables à une plus grande incitation
des créanciers à négocier, parce que le débiteur a désormais davantage de possibilités concernant ces délais de paiement[1].
L’effet de l’échec de l’accord de conciliation. Le nouvel article L.611-10-4 du Code de commerce met fin à la solution jurisprudentielle selon laquelle l’échec de l’accord de conciliation entrainait la caducité de l’intégralité de ce dernier et ce, sans possibilité de donner effet à une clause contraire. Désormais, en vertu de cet article, « la caducité ou la résolution de l'accord amiable ne prive pas d'effets les clauses dont l'objet est d'en organiser les conséquences ». Ainsi, les clauses aménageant les effets de l’échec de l’accord de conciliation sont désormais admises et le créancier ne verra pas les sûretés consenties lors de la négociation automatiquement remises en cause[2].
L’ordonnance renforce également la place des garants et coobligés en leur donnant le droit de se prévaloir de tous les délais accordés au débiteur en procédure de conciliation[3].
II - Les procédures collectives
La durée de la période d’observation en procédure de sauvegarde. Alors qu’avant la réforme, la période d’observation pouvait être renouvelée au total deux fois, pour la faire durer au maximum 18 mois dans des conditions strictes, cette possibilité a été écartée. Désormais, l’article L.621-3 du Code de commerce prévoit une unique possibilité de renouvellement. La période d’observation ne peut donc durer que 12 mois maximum. En revanche, la période d’observation du redressement judiciaire peut toujours être prolongée une troisième fois à la demande du procureur de la République.
Les effets du jugement d’ouverture d’une procédure. Les effets du jugement d’ouverture d’une procédure collective ont été précisés pour ne plus limiter la discipline collective aux seuls créanciers et éviter que le créancier bénéficiaire de sureté réelle pour autrui ne s’en trouve avantagé[4].
Le sort de la mauvaise déclaration. Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation estimait que lorsque le juge-commissaire déclarait la créance irrecevable, cela entrainait l’extinction de la créance et de ses accessoires. Les rédacteurs de la réforme sont revenus sur cette solution. La lecture du nouvel article L.624-2 révèle que cette créance est simplement irrecevable, donc inopposable à la procédure.
L’adoption du plan. L’un des apports essentiels de la réforme réside dans l’adoption du plan. Tout d’abord, le texte précise les délais de paiement uniformes[1]. En effet, les délais de paiement imposés aux créanciers n’ayant pas accepté les propositions de délais communiquées par le mandataire judiciaire[2] étaient très peu précis, parce que le texte encadrait uniquement le délai du premier paiement, ainsi que le montant des annuités effectuées à compter de la troisième année. En dehors de ces règles, il est tout à fait possible de moduler les paiements librement dans le plan. La réforme apporte, à ce titre, une précision en encadrant le montant des annuités versées à compter de la sixième année, qui ne doivent pas être inférieures à 10%. Mais également, le législateur réorganise les modalités d’adoption de ce plan, notamment à travers la mise en place des classes de créanciers[3]. La règle n’est pas différente en présence d’un redressement judiciaire. Une particularité toutefois réside dans la possibilité, pour une partie affectée, de proposer un projet de plan[4].
Leurs intérêts respectifs étant davantage pris en considération, il semblerait que les parties prenantes bénéficieront d’une place accrue au sein de la procédure. Mais ce rééquilibrage des pouvoirs pourrait avoir un effet pervers en n’attribuant d’avantages qu’aux plus gros créanciers[5].
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La répartition de l’actif distribuable. Par souci de clarté, la réforme a opéré une refonte de l’article L.643-8 concernant la répartition de l’actif distribuable. L’article dresse une liste précise des distributions rang par rang. Il n’est plus question de soustraire les « frais et dépens de la liquidation judiciaire, [les] subsides accordés au débiteur personne physique ou aux dirigeants ou à leur famille et [les] sommes payées aux créanciers privilégiés », mais de distribuer la totalité du montant par rangs de privilèges[1].
Le sort des garants et coobligés. La réforme aligne le sort des garants et coobligés d’un débiteur en redressement judiciaire sur celui de la sauvegarde. Ainsi, en redressement, comme en sauvegarde, ces personnes bénéficient de l’arrêt des poursuites, de l’inopposabilité des créances non déclarées ou irrégulièrement déclarées, des dispositions du plan. Également, le garant a désormais la possibilité de déclarer son recours avant même que la garantie n’ait été mise en œuvre[2].
Enfin, l’article L.624-3-1 issu de la réforme dispose que « Les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie, lorsqu'elles sont poursuivies, ne peuvent se voir opposer l'état des créances lorsque la décision d'admission prévue à l'article L. 624-2 ne leur a pas été notifiée ». Ces personnes bénéficient alors d’une protection contre l’état des créances, qu’ils peuvent d’ailleurs contester.
Les sûretés consenties au créancier postérieur ont également été précisées[3], tout comme les privilèges accordés à certains créanciers[4].
La procédure de sauvegarde accélérée. Dans le cadre de la transposition de la directive européenne, les rédacteurs de la réforme ont également mis en place une nouvelle procédure : la sauvegarde accélérée. Cette procédure remplace des outils semblables déjà connus du droit français des entreprises en difficulté avec la rédaction des articles L.628-1 et suivants du Code de commerce. Ainsi, les débiteurs engagés dans une procédure de conciliation pourront demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde particulière, d’une durée de quatre mois maximum, afin de soumettre le projet de plan aux classes de parties affectées et ce, sans qu’il ne soit nécessaire de respecter les seuils propres à la réunion de ces classes dans la procédure de sauvegarde « classique ». Les seuls créanciers concernés sont ceux ayant participé à la conciliation et la procédure peut être limitée aux « sociétés de financement, d'établissements de crédit et assimilés » ou à « tous les titulaires d'une créance acquise auprès de ceux-ci ou d'un fournisseur de biens ou de services et s'il y a lieu des obligataires ».
Le rebond facilité. Enfin, l’accès aux procédures de rétablissement professionnel et de liquidation simplifiée est facilité pour permettre un rebond plus rapide des entreprises.
C’est donc tout le droit des entreprises en difficultés qui est touché par cette réforme d’ampleur, qui participe de l’attractivité du droit français des entreprises en difficultés.
Clara CAMPAGNE
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L’interview métier
Me DUBOIS
Mandataire judiciaire
Etude MARIE DUBOIS, Lyon
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I. Présentation de l’intervenant – Me DUBOIS
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Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je me prénomme Marie DUBOIS, et j’exerce la profession de mandataire judiciaire.
A l’époque, j’ai suivi la voie de la formation dite « classique ». C’est-à-dire que j’ai passé l’examen d’accès en 2007, puis effectué un stage de 3 ans et enfin réussi l’examen de sortie en 2012.
J’ai prêté serment en juin 2013, après avoir réussi mon examen de mandataire judiciaire le 12 décembre 2012, une date qui ne s’oublie pas.
Je me suis associé immédiatement avec mon père. C’est lui qui m’a transmis la passion du métier.
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Quel a été votre parcours universitaire ?
J’ai fait une licence de droit, suivie d’une maîtrise de droit notarial. J’ai ensuite fait un DESS spécialisé en droit immobilier. À l’origine, je ne me destinais absolument pas au métier de mandataire judiciaire.
Cependant, en sortant de la fac j’ai effectué un stage dans l’étude de mon père et très vite j’ai accroché avec le droit des affaires et en particulier avec le droit des procédures collectives. J’ai donc changé de voie.
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Comment devenir mandataire judiciaire ?
Il existe deux voies :
La « voie classique », celle que j’ai suivi et indiqué plus haut.
La voie instaurée par la loi MACRON, votée en août 2015, qui assoupli l’accès aux professions d’AJ et MJ en créant des dispenses d’examen professionnel, de stage et d’examen d’aptitude.
Le Décret a d’ailleurs fixé également les conditions d’exercice des professions d’AJ MJ sous le statut de salarié.
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Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir mandataire judiciaire ? Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi ce métier et pas un autre ?
Le métier de mandataire judiciaire, ce n’est pas véritablement une vocation ; je ne me suis pas dit à 4 ans que je voulais devenir mandataire judiciaire.
Toutefois, j’ai la « fibre du droit », j’ai toujours été bercée par ça. C’est un chemin qui m’a semblé naturel. C’est un langage qui me parlait.
Mais c’est au cours de mon stage de 3 ans que j’ai réellement découvert la profession.
La proximité avec les dirigeants, les créanciers et les salariés m’a plu. J’ai beaucoup accroché avec ce métier « d’urgentiste », avec le fait de devoir trouver des solutions rapidement.
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Dans quel cadre exercez-vous votre activité, pourriez-vous nous décrire votre étude, sa structure, son évolution ?
J’ai commencé en m’associant avec mon père en 2013. Nous avons alors créé notre première SELARL, qui s’appelait MDP (Marie DUBOIS, DUBOIS Patrick). Nous sommes restés deux ans tous les 2. Nous étions alors dans une mouvance d’études structurées, à grande échelle, qui devaient avoir la capacité de traiter des dossiers de taille importante.
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Par la suite, en 2015, nous avons eu la volonté de développer notre implantation sur le territoire français. Nous sommes donc allés chercher des associés à Vienne et à Villefranche, afin de développer la structure. Nous sommes alors devenus la SELARL Alliance MJ, qui a compté au maximum 6 associés.
Très récemment, j’ai décidé de quitter Alliance MJ, de voler de mes propres ailes et d’enfin exercer sous mon propre nom. J’ai donc créé ma propre structure, la SELARL MARIE DUBOIS. Cela a également permis aux acteurs de la procédure de mieux identifier la structure.
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Qu’est-ce qui vous a motivée à créer votre propre structure ? Est-ce que cela a eu un impact sur vos dossiers ?
J’avais besoin de retrouver une identité et de développer ma propre vision du métier.
Cela n’a pas eu d’impact sur mon travail ou sur mes dossiers. Je n’ai pas senti de défiance de la part des tribunaux.
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Quel a été l’impact du COVID sur votre activité ?
A Lyon, il y a une diminution des dossiers de 43% à 45% en raison du COVID. Cela impacte nécessairement le chiffre d’affaires des études de mandataires judiciaires et d’administrateurs judiciaires.
Il n’y a plus d’assignation, notamment de l’URSAFF. Même les dirigeants qui voudraient se placer sous protection de justice ne sont mécaniquement pas en état de cessation des paiements, ce qui laisse plus de place aux mandats ad hoc et aux conciliations, mais par définition pas aux procédures judiciaires.
Je ne pense pas qu’il y ait d’effets pervers à tout cela, car si les solutions mises en œuvre par le gouvernement sont adaptées aux difficultés du dirigeant, tout se passera bien.
Les aides du gouvernement telles que le chômage partiel, le PGE (Prêt Garanti par l’État) et l’arrêt des remboursements vis-à-vis du Trésor et de l’URSAFF permettent aux entreprises de maintenir un bon niveau de trésorerie. Les bilans sont positifs, les sociétés paraissent en bonne santé, mais c’est une bonne santé quelque peu artificielle ou faussée.
Ces aides permettent néanmoins aux dirigeants de tenir, de maintenir les emplois. Il faut donc en tirer du positif.
Il est vrai qu’on se demande ce qu’il va se passer quand les aides vont cesser.
À un moment donné, nous allons forcément revenir à un niveau normal d’ouverture de procédures, que ce soit amiables ou judiciaires.
Je ne sais pas s’il y aura véritablement une vague de faillites telle que certains la prédisent.
De toute façon, entrant en année présidentielle, il y a fort à parier qu’il ne se passera rien avant que cette échéance électorale ne soit passée.
Quoi qu’il arrive, je souhaite pouvoir continuer à aider les entreprises en difficultés pour assainir le tissu économique.
II. Métier de l’intervenant – Le métier de mandataire judiciaire
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Comment décririez-vous votre métier en quelques mots ?
Je pourrais décrire cela comme un métier d’urgence. Il faut s’approprier le dossier en très peu de temps.
Le mandataire judiciaire est la clé de la cohésion sociale. C’est lui qui fait le lien avec l’AGS pour que les salariés soient payés en un temps record. Cela permet de reconstruire la confiance et permet ainsi d’assurer le bon déroulement de la procédure. Sans salarié il n’y a pas de procédure, pas d’entreprise.
C’est un métier de bienveillance également. Nous n’arrivons pas dans les meilleurs moments de la vie des personnes, que ce soit le dirigeant, les créanciers ou les salariés. Ce n’est jamais facile. C’est un métier d’écoute.
En même temps, c’est un métier extrêmement rigoureux.
C’est l’alliage de tout ça qui fait que l’on arrive à devenir de très bons professionnels. Sans bienveillance, sans écoute, on ne peut pas appréhender le dossier correctement.
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Pouvez-vous nous décrire votre journée type ?
Je n’ai pas une journée qui se ressemble, c’est ce qui fait un peu la magie du job.
Je rencontre les dirigeants à l’étude, mais le plus souvent je me déplace dans les entreprises avec l’administrateur judiciaire et le juge commissaire. C’est un travail d’équipe entre tous les acteurs.
Les journées sont rythmées pas ces visites et par les audiences (en temps normal 4 par semaine), que ce soient des audiences de procédures collectives, d’ouverture, de clôture, de sanction.
J’assiste également à des rendez-vous en cabinet des juges, où je rencontre les dirigeants, les salariés, les créanciers pour avancer sur les dossiers avec le juge commissaire.
De plus, j’assiste aux ventes aux enchères, je passe du temps avec mes confrères pour échanger, c’est important également.
Donc je ne sais jamais ce qui va se passer, je n’ai pas de journée type et c’est ça qui rend ce métier intéressant. J’apprends tous les jours.
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Selon vous, quels sont les meilleurs aspects du métier de mandataire judiciaire ?
C’est un métier très humain, il y a beaucoup d’échanges, on apprend tous les jours.
Le fait de travailler dans l’urgence met un peu d’adrénaline et rend le métier encore plus intéressant. On a également la chance de plaider à la barre du tribunal.
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Et a contrario quels sont ses plus gros défauts et inconvénients ?
Nous n’arrivons pas dans les bons moments de la vie des gens. Nous prenons un peu toute leur détresse, leurs souffrances, leurs incompréhensions… Il faut donc arriver à prendre du recul et faire en sorte que ça ne nous transperce pas.
Nous sommes aussi là pour assainir la vie économique ; il faut donc également attraire en sanction le dirigeant qui a commis des fautes de gestion, ce qui n’est pas forcément toujours agréable.
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Quels seraient les aspects du métier de mandataire judiciaire, ou bien de la formation pour devenir mandataire judiciaire, qu’il faudrait changer ou améliorer ? Et comment ?
Les alternants de M2 avec lesquels je travaille m’ont fait remarquer qu’ils n’avaient jamais autant appris en 4 mois qu’en 5 ans de fac.
Pour comprendre la matière et pour l’appréhender complètement, la pratique est indispensable.
Il faut bien sûr passer par de la théorie et des examens, mais au-delà de ça il faudrait pousser les étudiants bien plus tôt à réaliser des stages et à être en immersion totale. La dimension humaine du métier ne peut pas être appréhendée autrement que par la pratique.
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Quelles sont selon vous les qualités indispensable pour devenir un bon mandataire judiciaire ?
L’écoute, la rigueur, la bienveillance. Il faut avoir les valeurs du cœur. Il faut également beaucoup d’humilité et savoir prendre la bonne décision au bon moment.
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Est-ce que vous auriez des conseils à donner à des étudiants en droit aspirant à exercer la profession de mandataire judiciaire ?
Il faut taper à la porte ! Que ce soit la porte d’un cabinet d’avocats spécialisé en droit des entreprises en difficulté, d’un mandataire ou d’un administrateur judiciaire.
Il faut assister aux audiences.
C’est comme ça que j’ai appris, en me greffant un petit peu partout.
Il faut écouter, plus précisément ne pas avoir peur d’observer, et de faire des stages.
J’ai régulièrement des stagiaires au sein de mon étude et je pense que je ne pourrais plus m’en passer, c’est un vrai échange. J’ai réalisé à quel point c’était important pour eux de venir sur le terrain pour découvrir le métier.
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III. Lien avec le thème du numéro - Le Droit des entreprises en difficulté
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La réforme du DED de septembre 2021 a-t-elle ou va-t-elle avoir un impact sur votre manière de travailler ?
Le droit des procédures collectives est assez mouvant. La réforme va forcément avoir un impact sur notre manière de travailler, mais on a l’habitude de s’adapter très vite.
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L’un des gros apports de la réforme du livre VI du Code de commerce a été la mise en place en droit français des classes de créanciers. Obligatoirement présentes en sauvegarde accélérée pour adopter le plan et sur dépassement de certains seuils ou de manière optionnelle en sauvegarde et RJ, que pensez-vous de cette innovation ?
J’ai eu l’occasion de l’appréhender et j’y suis très favorable. Certes Le laps de temps qui nous est imparti pour faire tout cela est extrêmement court, mais nous avons l’habitude de travailler dans des temps très courts. Ce n’est pas un problème de timing. Il faut aller à la négociation, il faut sonder les créanciers, encore une fois dans l’intérêt du sauvetage de l’entreprise.
Cette règle sera certainement souvent mise en application, mais il faut que le dossier s’y prête.
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Des tensions existent entre AJ/MJ et AGS, notamment au sujet de la réforme sur la question de la rémunération des organes de la procédure.
Anciennement payés par distraction, la réforme a tranché et a supprimé ce paiement par distraction. Les frais de justice étant classés après les créances super-privilégiées de l’AGS (L643-8), on pourrait penser que la réforme prend le parti de l’AGS.
Cependant, dans le même temps le II. de l’article L643-8 parle de la possibilité de mettre en réserve les frais de justice prévisibles.
Pensez-vous que cette disposition va être utilisée de manière à mettre en réserve la rémunération des organes de la procédure et ainsi réintroduire une forme de paiement par distraction ? Allez-vous utiliser cette disposition dans ce sens ?
C’est un sujet sur lequel il vaut mieux être assez objectif en ce moment.
Oui, ce système de mise en réserve sera mis en place pour les émoluments des organes de la procédure, tout simplement parce qu’il est évident que les frais de justice doivent être payés.
De plus, si l’on rembourse l’AGS avant d’être payé que va-t-il se passer ? C’est du bon sens.
Cependant, il convient de prendre du recul sur ce sujet et constater que nous fonctionnions déjà avec un système de provisions auparavant.
Il ne faut pas non plus exagérer sur la question des tensions. Je suis personnellement en très bon termes avec l’AGS.
Mais Il ne faut pas oublier qu’une procédure collective vit, et qu’en conséquence nous avons besoin de trésorerie dès l’ouverture.
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Pour finir et pour élargir sur la réforme du DED, pensez-vous que celle-ci va dans le bon sens ? Auriez-vous souhaité qu’elle apporte d’autres modifications, si oui lesquelles ?
Oui elle va forcément dans le bon sens, je ne suis pas là pour critiquer ceux qui font la loi, je suis là pour appliquer la loi.
Comme le disait mon père : « une loi, même si elle doit servir à une seule personne, est alors une bonne loi ». Je souscris à cette formule et ai par principe tendance à être très positive. Je pense donc qu’il y a forcément de très bonnes choses. Cela va faire évoluer le droit des procédures collectives. Intellectuellement, il va y avoir de nouveaux challenges.
Elle est très bien fournie, je ne vois pas ce que j’aurai ajouté de plus.
Déjà à la base, il y avait des outils assez incroyables pour permettre à l’entreprise de s’en sortir. De nouveaux mécanismes viennent s’ajouter, pour rendre ce droit encore plus performant et pertinent. Force est de constater qu’en France nous sommes assez précurseurs en la matière.
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Interview par Alexia MONTVERNAY et Alex NICOLLET
Les objectifs du Droit des entreprises en difficulté
Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, il est fréquent que ses dirigeants n’osent pas employer les moyens offerts par le droit pour l’en sortir.
En effet, le terme de procédures collectives effraie les dirigeants, peut-être par tout ce qu’il évoque (le fait de se retrouver devant un tribunal), ou par ce que ces procédures peuvent impliquer (perte d’autonomie, surveillance par les organes de la procédure). Et la conséquence est que, généralement, l’intervention des organes de justice se fait tardivement, à un stade où les difficultés ont pris une forte ampleur.
Pourtant, et ce depuis le droit romain, les règles n’ont cessé d’évoluer en faveur du débiteur. Depuis le système dit de la « Manus injectio », selon lequel les créanciers pouvaient saisir la personne même du débiteur pour se payer en le vendant comme esclave par exemple, l’idée selon laquelle le dirigeant d’une entreprise en faillite n’est pas nécessairement un mauvais dirigeant s’est progressivement imposée.
Elle s’est d’ailleurs concrétisée avec la réforme de 1967, qui imposait la distinction du sort de l’Homme à la tête de l’entreprise du sort de l’entreprise elle-même, avec pour objectif d’éliminer les entreprises économiquement condamnées, sans frapper d’infamie les dirigeants qui ne l’ont pas mérité.
Concrètement, le débiteur n’a cessé de voir sa protection élargie. La loi de 1985 notamment, fixait comme but la sauvegarde de l’entreprise, et le maintien de l’activité et de l’emploi, faisant passer l’apurement du passif au second plan, dégradant ainsi la situation des créanciers.
Puis, la loi du 26 juillet 2005 a, dans la même optique, introduit les règles appliquées jusque récemment (et encore applicables pour certaines d’entre elles).
Ainsi, l’arrêt des poursuites et des voies d’exécution, et la soumission des créanciers à une discipline collective permettent de placer le débiteur dans une sorte de bulle protectrice.
Cette protection renforcée du débiteur a d’ailleurs pu, par le passé, donner lieu à des abus de certains, qui ont utilisé le droit des entreprises en difficulté pour échapper à un créancier. Un exemple concret fut l’affaire Cœur Défense[1], dans laquelle le débiteur avait engagé une procédure de sauvegarde afin de se placer sous la protection des tribunaux et échapper à la saisie de son immeuble par un créancier.
Aussi, le droit des entreprises en difficulté protège le débiteur, sans toutefois oublier ses créanciers. Des compromis sont imposés afin de concilier les intérêts des différentes parties, sans qu’aucune ne se sente défavorisée
Adoptée à la suite de la période Covid, l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021 s’inscrit dans cette logique.
La manière dont elle complète les dispositions du Livre VI du Code de commerce traduit une volonté de protéger le débiteur pour mieux œuvrer à son rétablissement, en cherchant tout de même à protéger les intérêts des parties en présence.
Par exemple, l’article L.622-21 est modifié pour interdire toute voie d’exécution sur les biens meubles et immeubles du débiteur. La mention « ces créanciers », qui faisait référence « aux créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L.622-17 », c’est-à-dire ceux dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, est ainsi abandonnée.
La Cour de cassation avait eu l’occasion en effet de montrer les failles de cette disposition, notamment dans un arrêt du 25 novembre 2020[2], dans lequel elle avait jugé que la banque titulaire d’une sûreté réelle sur un immeuble appartenant au débiteur, n’avait pas la qualité de créancier personnel, et qu’elle ne pouvait par conséquent se voir appliquer la règle de l’arrêt des poursuites et des voies d’exécution, lui permettant ainsi de réaliser le bien.
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Pour autant, les créanciers ne sont pas oubliés et se voient eux aussi offrir certaines garanties. De nombreuses règles protègent leur gage et permettent de limiter les risques qui pèsent sur le remboursement de leur créance.
Les dispositions issues de la loi de 2005 allaient déjà dans ce sens, et beaucoup sont encore applicables.
Ainsi, la possibilité de demander une extension de procédure (art. L.621-2) permet au créancier d’étendre le gage auquel lui et ses pairs auront droit.
De même, la limitation des prérogatives du débiteur et la surveillance de l’administrateur judiciaire à laquelle ce dernier est soumis lui permettent de ne pas voir son gage lui échapper et se réduire. Parmi elles, l’interdiction de payer les créances antérieures permet non seulement de ne pas voir le gage des créanciers réduits, mais empêche aussi le débiteur de choisir quel créancier il souhaite rembourser avant les autres.
De plus, le créancier n’a certes pas la faculté de décider de la résiliation d’un contrat avec son débiteur, mais l’article L.622-13 lui offre la possibilité de le faire suite à demande de l’AJ, ou à défaut de paiement au par le débiteur, et l’article L.622-17 oblige au paiement de sa créance née de l’exécution du contrat à l’échéance, ou lui offre une place privilégiée pour le remboursement.
Enfin, on pourrait parler des nullités de la période suspecte, qui permettent de reconstituer le patrimoine dont le débiteur se serait débarrassé peu avant l’ouverture de la procédure, et ainsi le faire revenir dans le gage des créanciers, ou encore des revendications de l’article L.624-9.
Tous ces mécanismes montrent que le créancier n’est pas tant défavorisé par le droit des entreprises en difficulté.
L’ordonnance du 15 septembre ne l’a d’ailleurs pas laissé de côté non plus.
La modification de l’article L.622-21 a, on a vu, un effet protecteur pour le débiteur, mais elle étend également le champ des créanciers soumis à la discipline collective, évitant ainsi que certains ne puissent venir réduire leur gage commun.
De plus, le créancier qui aurait participé à la poursuite de l’activité peut se voir offrir une garantie, le débiteur étant désormais autorisé à « consentir une sûreté réelle conventionnelle en garantie d’une créance postérieure à l’ouverture » alors que l’ancien article en donnait une liste exhaustive.
De même, l’article L.632-1 relatif aux nullités de la période suspecte a été modifié en son 6° pour désormais englober « toute sûreté réelle conventionnelle », et ainsi augmenter la protection du gage commun des créanciers, en annulant la constitution de toute sûreté portant sur un bien du débiteur depuis la date de cessation des paiements. Précisions que l’ancienne version de l’article ne visait que « les hypothèques conventionnelles », il était alors simple d’échapper à cette menace pour le débiteur.
L’approche de ces quelques règles nous permet de voir que le droit des entreprises en difficulté a pour ambition non pas de privilégier une partie, mais plutôt de protéger les intérêts des deux, afin de retomber sur une relation commerciale normale, ou pourrait-on dire, retrouver le calme après la tempête.
​Louis BALLEIDIER
[1] Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 mars 2011, n°10-13988
[2] Cour de cassation, Chambre commerciale, 25 novembre 2020, n°19-11525
La mise en place d’un rang privilégié pour les créanciers finançant la période d’observation – Apport de la réforme et égalité des créanciers
Est-ce une procédure réellement juste ?
Le principe d’égalité des créanciers, appréhendé par le droit des entreprises en difficulté, a pour vocation d’assurer une égalité d’accès au gage commun sans toutefois imposer une égalité de traitements dans le cas où ces créanciers se trouveraient dans une situation différente. C’est la raison pour laquelle la procédure collective emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, sauf exceptions[1].
Néanmoins, la survie de l’entreprise nécessite souvent un soutien particulier de la part des partenaires de l’entreprise. Ainsi, il peut être demandé aux créanciers de l’entreprise en difficulté d’accorder des crédits à cette dernière après le jugement d’ouverture. Or, il est évident qu’accorder un tel crédit est – très – risqué. C’est dans cette optique que le législateur a mis en place des dispositifs de nature à inciter les créanciers en ce sens.
Ainsi, en vertu des articles L. 622-17 (dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire) et L. 641-13 (dans le cadre d’une liquidation judiciaire) du Code de commerce, sont qualifiées de créances privilégiées les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation[2] ou du maintien provisoire de l’activité, ou en exécution d’un contrat en cours régulièrement décidée après le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, s’il y a lieu, et après le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période. Ces créances sont payées à leur échéance.
Se présente ainsi ici une dérogation au principe d’égalité des créanciers : il serait effectivement possible de réduire le gage commun des créanciers en payant des créances en cours de procédure. Toutefois, cette possibilité ne contrevient pas à l’interdiction de paiement de l’article L. 622-7 du Code de commerce puisque ces créances sont qualifiées de postérieures au jugement d’ouverture.
En résumé, pour bénéficier du privilège accordé par ces articles, les créances doivent être régulières, postérieures et liées à la finalité poursuivie par la procédure.
A titre d’exemple, la qualification de créances postérieures privilégiées sera utilisée pour le paiement aux lieu et place du débiteur de factures nécessaires à la poursuite de l’activité (Cass., com., 9 mai 2018, n°16-24.065).
En outre, d’après la formulation employée par les rédacteurs des articles susvisés, aucune différence ne sera faite entre les créances postérieures nées après le jugement d’ouverture mais avant la conversion de la procédure et les créances nées postérieurement à la conversion.
En vertu du IV des articles L. 622-17 et L. 641-13, en cas d’absence de paiement à leur échéance et de non-exercice du droit de poursuite envers le débiteur et afin de bénéficier du privilège, les créanciers doivent porter leurs créances à la connaissance du mandataire ou du liquidateur judiciaire. À défaut, les créanciers seront « sanctionnés » par une perte du privilège de paiement prioritaire (Cass. Com., 28 juin 2016 n°14-21.668).
Cette démarche est à effectuer :
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Soit dans le délai d’un an à compter de la fin de la période d’observation en redressement judiciaire (C. com., art. L. 622-17, IV) ;
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Soit dans le délai de six mois à compter de la publication du jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire ou, à défaut, dans le délai de douze mois à compter de celle du jugement arrêtant le plan de cession (C. com., art. L. 641-13, IV).
Néanmoins, le fait de ne pas se faire connaitre auprès de l’organe compétent n’empêche pas les créanciers de se prévaloir de la règle du paiement à l’échéance ou de la possibilité d’exercer une action en paiement. En effet, l'absence d'inscription d'une créance sur la liste des créances postérieures instituée par l'article R. 622-15 du code de commerce est sans effet sur le droit de poursuite du créancier (Cass., com. , 28 juin 2016, n°14-21668 et Cass., com., 13 octobre 1998, n°94-19892).
I. Des créances privilégiées : une nécessaire faveur
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A. Intérêt
La mise en place de ces créances postérieures privilégiées répond d’abord à une volonté d’inciter les créanciers à soutenir le débiteur mais surtout de compenser et récompenser le risque qu’ils prennent.
Il est vrai que l’on pourrait se demander pourquoi le créancier intervenant en dernier mériterait un tel privilège alors que les créanciers antérieurs attendent le paiement de leur créance depuis bien plus longtemps. Cependant, les créanciers qui font crédit à l’entreprise en difficulté le font en connaissance de cause de sa situation naturellement plus critique et de ce fait sont plus méritants en raison de cette prise de risque.
L’objectif principal est d’inciter le redémarrage de l’activité ou, du moins, faciliter/alléger la situation du débiteur. Or, aucun créancier ne voudrait se mettre volontairement en danger sans bénéficier d’une garantie en contrepartie. Ainsi, le privilège offert est une sorte de récompense.
B. Rang accordé
En cas de paiement à l’échéance, aucune priorité de paiement n’est instaurée entre les créanciers privilégiés, et le créancier peut obtenir un titre même s'il n'est pas en premier rang des créances postérieures[3]. Ainsi, le premier des créanciers postérieurs qui bénéficie d'une décision, qui a engagé l’action, est payé sans égard pour les autres[4].
Dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire et en cas de réalisation d’actifs, pour la répartition du prix de réalisation, il faut tenir compte du classement établi par l’article L. 622-17, II, du Code de commerce.
Ainsi, les créances postérieures sont payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l'exception de celles garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure et de celles garanties par le privilège de new money[5].
En liquidation judiciaire, alors qu’il convenait auparavant de consulter l’article L. 641-13 du même code tout en prenant également en compte la distraction des frais et dépens de la liquidation judiciaire et des subsides accordés au débiteur ou au dirigeant de l’ancien article L. 643-8, désormais, depuis l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du Code de commerce, c’est l’article L. 643-8 qui, avec plus de clarté, devient le texte de référence en matière de classement.
On peut alors remarquer que les créances postérieures privilégiées occupent le huitième rang, sous réserve d’avoir été autorisées par le juge-commissaire et d’avoir fait l’objet d’une publicité, au même titre que le privilège de post money[6], parmi les quinze rangs distinctifs.
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De plus, ces créances garanties par ce privilège ne peuvent faire l’objet de remises ou de délais qui n’auraient pas été acceptés[7]. Il s’agit donc d’un avantage très incitatif pour les créanciers, surtout dans le contexte des classes de créanciers[8].
En outre, afin de favoriser le financement de la période d’observation, l’article 18 de l’ordonnance du 15 septembre 2021 modifie l’article L. 622-17 du Code de commerce. Les 2° et 3° du III de l'article L. 622-17, qui établit l’ordre de paiement de ces créances, sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :
« 2° Les créances résultant d'un nouvel apport de trésorerie consenti en vue d'assurer la poursuite de l'activité pour la durée de la procédure ;
« 3° Les créances résultant de l'exécution des contrats poursuivis conformément aux dispositions de l'article L. 622-13 et dont le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé ;
« 4° Les autres créances, selon leur rang.
« Les apports de trésorerie mentionnés au 2° et les délais de paiement mentionnés au 3° sont autorisés par le juge-commissaire dans la limite nécessaire à la poursuite de l'activité pendant la période d'observation et font l'objet d'une publicité. En cas de résiliation d'un contrat régulièrement poursuivi, les indemnités et pénalités sont exclues du bénéfice du présent article. ».
Désormais, l’article évoque l’« apport de trésorerie » consenti pendant la période d’observation, et non plus seulement le prêt, et lui accorde ainsi directement ce privilège. Toutefois, ces apports de trésorerie ne sont autorisés que « dans la limite nécessaire à la poursuite de l'activité pendant la période d'observation ».
De plus, ce privilège intervient en second rang, devant les créances résultant de l’exécution des contrats poursuivis conformément aux dispositions de l’article L. 622-13 du code de commerce et dont le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé, alors que jusqu’à présent, leur rang était identique[9].
Il est vrai que ces créances postérieures privilégiées bénéficient d’un régime particulier qui semble justifié mais qui demeure un avantage redoutable, notamment du point de vue de l’égalité des créanciers.
II. Une inégalité claire entre les créanciers ?
En tout état de cause, bien que l’article L. 622-17 offre un avantage considérable, et nécessaire pour inciter les créanciers à consentir de nouveaux apports, les rédacteurs ont bien pris soin de relativiser celui-ci en prenant en compte des créances antérieures qui ont une plus grande importance selon eux.
Ainsi, la position des créances postérieures privilégiées n’est pas des moindres. En somme, les créances postérieures élues seront soit payées à l’échéance soit bénéficiaires d’un rang favorable.
Or, la mise en place de ce type d’avantage a tout de même été contestée au motif que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité en établissant un tel privilège.
Bien que critiqué, le Conseil constitutionnel a jugé ce dispositif conforme au principe d'égalité puisque « ce principe ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » [10].
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Il semble donc tout à fait juste d’accorder un tel privilège. Toutefois, son rang est-il absolument celui qu’il mérite d’avoir ? N’est-ce pas paradoxal d’accorder un tel privilège en le justifiant par le risque pris par les créanciers alors que ce privilège a un rang inférieur au privilège de new money ? En effet, le privilège de new money prime sur les créances postérieures élues, tant au sein de l’article L. 622-17 que de l’article L. 643-8 du Code de commerce.
Or, l’ouverture d’une conciliation ne répond qu’à des difficultés juridiques, économiques ou financières, avérées ou prévisibles. En revanche, la procédure de liquidation judiciaire est ouverte quand il n’y a plus de possibilité de redressement.
Ne serait-il pas plus juste d’apprécier le réel risque pris par les créanciers afin de faire primer le privilège des créances postérieures privilégiées au détriment du privilège de new money ?
C’était en effet la position de Me Thierry Montéran selon qui, pour des privilèges semblables « il paraît anormal de favoriser les créances de l'article L. 611-4 [ancien, ancêtre de la procédure de conciliation] par rapport aux créances de l'article L. 621-32 [ancien, actuel article L. 622-17]. Soit elles se situent sur un plan d'égalité absolue, soit elles devraient, dans l'ordre, être payées après les créances de la période d'observation. »[11].
En réalité, les rédacteurs semblent avoir fait un tel choix dans une logique de prévention et de sauvetage de l'entreprise en amont des difficultés les plus sérieuses.
En tout état de cause, le privilège de new money a une définition très restrictive et une fragilité dont les créanciers sont conscients, raison pour laquelle ils en viennent à exiger du débiteur l'ouverture d'une procédure collective avant de consentir un crédit ou de nouvelles fournitures, estimant encore plus sûre la garantie par le privilège de procédure accordé aux créanciers privilégiés par l'article L. 622-17[12].
Enfin, le privilège de post money se voit attribué le même rang que les créances postérieures privilégiées (on entend donc par-là celles visées par l’article L. 622-17). Le privilège de post money, mis en place pendant la crise sanitaire, a pour but d’inciter des personnes à consentir un apport en trésorerie soit lors de la période d’observation, soit dans le cadre du plan de sauvegarde ou de redressement.
Contrairement aux créances postérieures, les apports qui bénéficient du privilège de post money ne sont pas restreints par le critère de la limite nécessaire à la poursuite de l’activité.
Puisque le Conseil Constitutionnel a rappelé que le principe d’égalité s’impose uniquement pour des situations identiques, il n’aurait pas été cohérent d’accorder un rang plus, ou moins, favorable pour ce privilège.
En somme, bien que le privilège accordé par l’article L. 622-17 du Code de commerce semble déroger au principe d’égalité, nous pouvons remarquer que cette égalité est bel et bien présente pour les créanciers se trouvant dans une même situation, et selon la procédure dans laquelle ils se trouvent.
Emel ALKAN
[1] C. com., art L. 622-7
[2] Période de six mois, suivant le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, renouvelable une fois par jugement du Tribunal (pour une durée de six mois supplémentaires), et le cas échéant une seconde fois pour la même durée (à la demande du Procureur de la République). Cette possibilité de prolongation à la requête du Ministère Public a été supprimée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 dans le cadre de la procédure de sauvegarde.
[3] Cass., com., 16 oct. 2012, n°11-25.134
[4] Cass., com., 13 nov. 2001, n°98-22.230
[5] Privilège accordé aux créanciers ayant consenti un nouvel apport de trésorerie dans le cadre d’une procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-11).
[6] Privilège institué par l’ordonnance du 20 mai 2020 pour les apports de trésorerie consentis pour l’exécution du plan (C. com., art. L. 626-10, 3°) ou sa modification (C. com., art. L. 626-26, 2°).
[7] C. com, art. L. 626-30-2.
[8] N. BORGA, Le droit français des entreprises en difficulté va-t-il faire sa mue ?, paru dans ce numéro
[9] K. LEMERCIER, F. MERCIER, Réforme du droit des entreprises en difficulté, 28 sept. 2021, Dalloz Actualité, Éd. 23 nov. 2021
[10] Décis. n° 2005-522 DC, 22 juill. 2005.
[11] T. MONTÉRAN, Avant-projet de loi de sauvegarde des entreprises, Gaz. Pal., 11 déc. 2003, n°345, p. 2
[12] J.-L. VALLENS, Les « effets pervers » de la loi de sauvegarde des entreprises, RTD com. 2007. 605